QUI EST PASCAL GUICHARD?


Lorsque je flâne aujourd’hui dans un vide-grenier, face au fatras d’objets tant désuets qu’hétéroclites qui s’y trouvent entassés,
je ne peux m’empêcher de voir un peu partout des œuvres de Pascal Guichard, dans une disposition anarchique et comme éparpillées aux quatre vents. Cafetières émaillées aux arômes fantômes de Négresco, sacs à main et verres à pied, jeux de mécano, tournevis et tourne-disques, pies qui chantent et vaches qui rient, pin-up aguicheuses posant sur des couvercles de boîtes à biscuits, manteaux et mantilles, marteaux et faucilles, revenants en costume de premier communiant ou tenue coloniale ressuscitant d’un vieil album de famille… la succession de tous ces objets rassemblés ressemble fort ici à un inventaire à la Prévert. 

Dès la première page de son récit, “Le collectionneur de collections”, Henri Cueco commence ainsi : Je supporte mal qu’on jette, qu’on détruise. Si bien qu’en plus des trésors arrachés aux décharges ou chinés aux puces, nous vivons parmi tous ces objets dont je me refuse de me défaire. D’évidence, Pascal a les mêmes préoccupations que le peintre… Non seulement ces objets il les récolte et les stocke mais il les recycle aussi et les fait parler autrement. Leur association nous raconte alors une histoire, une histoire qui est la sienne mais aussi la nôtre, tel un Boltanski qui, à travers ses collections – objets modestes et photographies anciennes – cherche à restituer la mémoire des absents, dans une sorte de biographie imaginaire convoquant une mythologie individuelle qui, par la force du souvenir, devient dès lors collective.La longue litanie, non exempte de nostalgie, des “Je me souviens” de Georges Pérec – Je me souviens du cadeau Bonux disputé avec ma sœur dès qu’un nouveau paquet était acheté – s’inscrit dans le même héritage commun, qui est celui des baby-boomers devenus à présent des papys.

Prévert, Cueco, Boltanski, Pérec, ces influences, Pascal ne les renierait pas et pour friser l’exhaustivité,  il suffirait de compléter la liste de ses grands inspirateurs par les théâtres poétiques de Joseph Cornell qui viennent ajouter leur petite note surréaliste et furent indubitablement pour lui un déclic. Cependant les œuvres de P.G. sont bien différentes de la rencontre fortuite du parapluie et de la machine à coudre chère à Lautréamont. Car, loin du télescopage hasardeux, notre metteur en boîtes ne les accouple pas innocemment. Ce sont de savantes compositions dans lesquelles la tentation du discours ne supplante jamais le choc esthétique. N’est-ce pas simplement ici la définition basique de toute œuvre d’art authentique où le sens exprimé par l’auteur – illustré par des titres fortement évocateurs – ni ne s’inféode ni ne prime sur le sens plastique mais vont de pair l’un et l’autre pour faire naître l’émotion de celui qui s’y absorbe et par la vue et par l’esprit ?

Mais laissons-là les références car tout artiste se doit d’être unique et Pascal l’est assurément ! Comment en serait-il autrement pour qui arbore de si improbables tee-shirts, se chausse en toute saison d’une paire de santiags rescapée des années soixante-dix et porte des vestes chinoises passées de mode même à Belleville ?

Quant à son atelier icaunais, il est à l’image de ses œuvres : un bordel ordonné rempli jusqu’au plafond de merdouilles précieuses qu’il sort une à une – tels des diables de leurs boîtes ou des polichinelles de ses tiroirs – pour les exposer derrière des vitrines comme des dames désirables en corset et guêpière du quartier rouge d’Amsterdam. Car, oui, les objets que Pascal expose sont porteurs de désir : à la fois ce désir d’antan, trivial et prosaïque, de consommer, de posséder et ce désir d’aujourd’hui de retrouver ses racines aux mains rassurantes et aux longs doigts noueux ainsi que le goût d’amande amère de son enfance.

Ses créations ne sont pas des reliquaires mais des lampes d’Aladin expulsant leurs génies moqueurs, des lanternes magiques grâce auxquelles se jouent et se rejouent sans fin les mêmes destinées et les mêmes farces. Pascal Guichard est un artiste qui, tout en posant humblement son pas dans les traces de ses aînés, en invente par le fait de nouvelles ; il est comme le paléontologue qui, exhumant de la terre séculaire une miette de vertèbre, nous fait revivre la bête tout entière de même que la prairie qui l’a vu naître et mourir, les éclats de lune sur sa crête d’écailles, le monde originel se reflétant dans ses pupilles et les battements de son cœur vieux de millions d’années. Son œuvre enchâssée dans la cage de verre est comme le tricératops surgi du Crétacé supérieur pour nous rappeler la permanence du temps. 

Pas si loin de nous en vérité

 

Gérard Mathie

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